La fresque du climat

Travail réalisé par
Jean Bertrand, Vincent Bizouard, Jean-François Leroy, Sandie Masson, Marie-Laure Tanon, Julien Vibou
Avec l'aimable participation de Bernard FRANCOU, glaciologue et Marie-Antoinette MELIERES, climatologue membres du comité scientifiques de la FFCAM à qui nous adressons nos vifs remerciements pour leur relecture attentive.

Soit une diminution des émissions moyennes par personne
de 80% en 30 ans ou de 5% par an.
Une partie peut être atteinte par de l'efficacité ou de l'innovation technologique, et le reste par de la sobriété.

 Depuis 1860, en 2020, pour la Terre :

  • Hausse moyenne à la surface des océans : + 0,9°C
  • Hausse moyenne à la surface des continents : + 1,6°C
  • Soit une hausse moyenne de : + 1,1°C

 

Dans les Alpes

  • + 2,2 °C depuis 1900
  • Dont + 0,4°C par décennie depuis 1960, à comparer à + 0,24°C par décennie (en moyenne sur un siècle) sur les continents de l'hémisphère Nord

En montagne en général :

  • ​De nombreux éléments montrent un réchauffement plus rapide qu'à basse altitude, mais ce sont des phénomènes complexes et on manque de données au-dessus des zones habitées.
  • Explications probables :
    • Baisse de l'albédo de surface en raison du déneigement plus précoce au printemps (trois semaines de manteau neigeux perdues en moyenne)
    • Assèchement précoce des sols à l'entrée de l'été, ce qui tend à augmenter la température (l'énergie venant de l'atmosphère est moins utilisée pour l'évaporation et va davantage au réchauffement).
    • Augmentation de la teneur de l'air en vapeur d'eau (hausse de l'effet de serre), ce qui tend à diminuer le rayonnement nocturne (les nuits sont moins froides)
    • Augmentation des contrastes entre les versants différemment exposés (adrets/ubacs), les plus ensoleillés pouvant être libres de neige dès la fin de l'hiver
       

Les risques naturels ont toujours été très présents en montagne, mais cette réalité ancienne se trouve accrue par le changement climatique (CC)

  • Des écroulements (éboulements majeurs) 
    • Liés à la fonte du pergélisol (glace permanente à température négativeprésente dans les fissures de la roche qui maintiennent en équilibre les masses rocheuses)
    • Dans les Alpes, surtout au-dessus de 3.000m, en versant Nord (ex. versant​ Nord Aiguilles de Chamonix : entre 1940/ 1950 : 2 événements ; entre 2000/2010 : 21 événements)
  • Des crues et laves torrentielles
    • Affectées principalement : les montagnes « méditerranéennes » (rôle de l'augmentation des températures en Méditerranée)
    • Liées à des averses pluvieuses intenses, à des reliefs particuliers et aux matériaux présents.
    • Le CC augmente les contextes « favorables » (moins de neige, plus de pluie) et leur occurrence va probablement s'accroître, notamment en automne et au printemps. Possibilités de crues en hiver (montée de la limite pluie-neige) 
  • La déstabilisation des glaciers 
    • Liés à plusieurs types de phénomènes :
      • Les glaces « froides » (à température négative) à haute altitude (>3500 m) devenant « tempérées » (température de fusion) et étant de ce fait déstabilisées
      • La rupture de langues glaciaires
      • La vidange brutale de masses d'eau sous-glaciaires
      • La rupture de lacs glaciaires retenus par une moraine
    • Ces phénomènes aléatoires mais graves imposent de plus en plus une surveillance régulière dans les zones de montagne habitées.

(Source : « Coup de chaud sur les montagnes, Bernard Francou – Marie-Antoinette Mélières, Ed. Guérin Paulsen 2021)

image

Tourisme (cas de la France)

La montagne, une économie du ski encore dominante :

  • 10 milliards d'euros
  • 120 000 emplois, dont 80% saisonniers
  • 350 stations
  • 580.000 paires de ski vendus chaque année.

Dans contexte de CC :

  • Marché en stagnation, bcp de stations ont déjà fermé :
    • Vosges 37%
    • Jura 32%
    • Massif Central 59%
    • Pyrénées 20%
    • et combien demain pour les Alpes ?
  • Le remplissage des retenues pour la neige de culture doit être géré tout au long de l'année (1 km de piste = une piscine olympique) dans un contexte CC qui sévit surtout l'été mais aussi à l'automne où doit commencer le remplissage.
  • La compétition s'accroit entre différents usages, comme l'hydroélectricité, l'agriculture et le tourisme pour l'accès à l'eau.

L'été, les nuitées touristiques sont équivalentes, mais le chiffre d'affaires induit est inférieur de moitié.

A l'horizon 2050, quelle sera l'attractivité des stations de ski ? notamment pour des raisons de prix des forfaits, de paysages déneigés, de pluie au lieu de neige, de changements des mentalités, de l'émergence d'autres formes de loisirs ...

Un tourisme en évolution :

  • Les risques naturels occasionnés par la hausse des températures vont affecter négativement certaines activités traditionnelles comme l'alpinisme estival (voies glaciaires et mixtes) et en favoriser d'autres (escalade en domaines sécurisés, randonnée pédestre, montée à des refuges, course à pied, vélo et VTT, etc.)
  • À l'inverse, les vagues de chaleur en plaine devraient attirer davantage de vacanciers en montagne, où les températures resteront plus fraîches.
  • Le tourisme dit "de la dernière chance" attire des gens qui veulent voir les glaciers, comme la mer de Glace dans le massif du Mont-Blanc, avant leur disparition totale : on peut en effet envisager un intérêt croissant pour des activités de sensibilisation à l'environnement dans un contexte où celui se dégrade un peu partout du fait du CC. Cela suppose pour les guides et les AMM des compétences plus diversifiées, à la fois sportives et culturelles.

Agriculture et Foresterie

La hausse des températures entraine un stress hydrique accru en altitude, à cause de la croissance de l'évaporation et de la transpiration des plantes (évapotranspiration).

L'agriculture de montagne en France, c'est 112.000 emplois ETP, mais aussi une contribution importante aux paysages.

L'élevage fondé sur la montée en alpage (en estive dans les Pyrénées), pour produire lait fromage ou viande, est soumis à de nombreuses contraintes : prix, fin des quotas laitiers, prédateurs... Le CC s'y ajoute.

Déjà on constate une baisse de la production d'herbe, tant en vallée (fourrage d'hiver) qu'en alpage, et parfois un manque d'eau en alpage pour abreuver les bêtes. Mais la montagne aura à moyen terme plus d'eau que la plaine à condition d'en faire bon usage et de s'adapter. Pour cela : modifier le calendrier des activités en alpage, remettre en état l'irrigation traditionnelle, mettre en place localement des retenues d'eau et évoluer vers un meilleur usage des sols, notamment en vallée pour le fourrage d'hiver et des cultures à haute valeur ajoutée.

La forêt de montagne et la filière bois en France c'est environ 14.000 emplois ETP. Sa superficie est en croissance du fait de la déprise agricole (40% du territoire des Alpes). La forêt c'est aussi de nombreux services écologiques : rétention d'eau dans les sols et dans l'atmosphère, limitation de l'érosion, abri des espèces hivernantes, agrément...

Le CC se traduit par des sécheresses accrues qui s'observent dès 1.000m d'altitude. Plusieurs espèces sensibles à la chaleur et la sécheresse sont en dépérissement (épicéa, certaines espèces de pins). Il se traduit en première étape par l'expansion considérable des maladies, favorisées par les hivers doux et l'assèchement des sols : scolytes de l'épicéa (50 % de la récolte moyenne d'épicéa dans le Grand Est est « scolytée »), expansion de la processionnaire du pin du Midi vers le Nord, et jusqu'à 1.000m d'altitude dans les Alpes.

Les zones bioclimatiques devraient se déplacer de 500 kms vers le nord au rythme du CC actuel, mais la plupart des espèces forestières se déplacent au mieux de 50 kms par siècle. L'expansion de la forêt en altitude est rapide et spontanée. L'accompagnement d'une modification des espèces n'est pas simple : certaines méditerranéennes s'accommodent de la sécheresse, mais ne supportent pas le gel (pin maritime). On doit évoluer vers une gestion durable de la forêt : diminuer la densité des plantations (pour limiter les effets des sécheresses), mélanger les espèces (résineux et feuillus), ménager des clairières et des couloirs entre massifs forestiers, prohiber les coupes rases et laisser vieillir les arbres pour que l'écosystème puisse s'épanouir.

(Sources : « Coup de chaud sur les montagnes » déjà cité ; Agence Savoie Mont-Blanc ; Plan Avenir Montagne ; États généraux de la transition du tourisme en montagne 2021)

L'empreinte d'un Club et adhérents

L'empreinte Carbone d'un Club ou d'un adhérent, qu'il pratique la montagne au sein d'un Club et/ou seul, se compose des lignes ci-dessous.

Pour toutes les trajets, sont décomptés les seuls trajets en voiture (dont il faut estimer la proportion, selon la situation de chaque club), les autres modes de transport (à pied, vélo, bus etc..) sont négligés par simplicité.

  • Sorties Club ou non
  • Animations Club (séances escalade...)
  • Vie Associative (AG, permanences,...)
  • Équipements et matériels (adhérents et Club)
  • Locaux (bureau, salle de réunion, mur d'escalade, chauffage ...)
  • Communication (site internet, pages web, visio, ...)

« OUI vivre la montagne et non la consommer »
Alors Passons à l'Action

Passons à l'Action : constat et propositions

Le constat :

Les trajets en voiture sont le gros poste carbone, pour les sorties, oui bien sûr, mais aussi pour les animations et la vie associative, surtout s'ils sont effectués une personne par voiture.

C'est en priorité eux qu'il faut cibler et proposer des solutions pour en diminuer l'impact.

Quelques propositions pour diminuer leur impact

  • Privilégier les séjours longue durée pour apprécier toutes les richesses du milieu montagnard. Une semaine c'est mieux que plusieurs dimanches ou weekend.
  • Penser « plus proche». Redécouvrir les joies de la proximité. Notamment pour les sorties à la journée.
  • Penser à la mobilité douce quand c'est possible : prendre un train ou un car.
  • Promouvoir et inciter les participants aux formations, à s'y rendre en utilisant préférentiellement les transports en commun.
  • Organiser un weekend thématique "bas carbone". (Exemple : trajet initial en vélo puis randonnée pédestre avec observations du milieu naturel, puis retour en vélo).

Autres idées / propositions :

  • Repenser la convivialité de la vie associative en limitant l'utilisation de la voiture à titre individuel (covoiturage, mobilité douce, ...)
  • Développer les nouvelles technologies de la communication, pour les AG, les permanences, les soirées thématiques ...
  • Privilégier la connaissance du milieu : le changement climatique est une bonne occasion pour éveiller la curiosité sur ce qui nous entoure
  • Repenser notre équipement : Le produit le moins impactant, c'est celui que nous n'achetons pas.
  • Lors d'un achat : se poser les bonnes questions :
    • Ai-je déjà cet équipement ? Si non, Est-ce un achat pratique, ou plaisir ?
    • Combien de temps, pour combien de sorties, ce produit va-t-il me servir ?
    • Ce matériel doit-il être acheté neuf, ou puis-je me le procurer d'occasion, le louer ou me le faire prêter ? (Certains clubs disposent de matériel qui peut être prêté ou loué)
    • Si je dois me le procurer neuf, est-il proposé chez une marque écoresponsable
    • Optez pour un produit de bonne qualité et réparable
  • ​Choisir une marque Écoresponsable privilégiant l'Écoconception
  • Contribuer à l'économie circulaire, recyclons !
  • Calculer chaque année son bilan carbone "montagne".
    • Cela permet alors de se donner des objectifs sur l'année suivante : - 5% = une sortie de moins, ou concentration des sorties, ou train/vélo, mutualiser son matériel avec une personne de confiance, ou compenser etc...
    • Avoir un objectif annuel relativement facile à atteindre, sans trop se frustrer.

Des actions au niveau des clubs :

  • Sensibilisation des membres aux enjeux climatiques en organisant une fresque du climat.
  • Imaginer des solutions pour améliorer l'empreintecarbone déplacement (privilégier les déplacements doux, aise financière pour les transports en commun, achat/location de minibus, ...)
  • Penser sobriété du matériel pour les clubs qui en ont
  • Organiser des rencontres ou des sorties thématiques sur la protection de la montagne et de la biodiversité

« OUI vivre la montagne et non la consommer »
C'est : penser et pratiquer la montagne autrement, pour nous, nos enfants et petits-enfants.

La montagne est d'abord une histoire de passion entre des hommes, des femmes et des sommets. Une passion née de la beauté des paysages, de l'esprit de curiosité et de conquête.

Cette passion est née il y a plus de 2 siècles, et ne s'est jamais affadie. Comment oublier les heures vécues « là-haut », comment nier l'apport de cette passion, de ces émotions, à la construction de nos personnalités ?

Oui mais... : les paysages qu'ont vu nos ancêtres, nos anciens, évoluent rapidement. Nos enfants et a fortiori nos petits-enfants ne pourront plus voir ce que nos yeux voient : les neiges éternelles et les glaciers disparaissent, des sentiers sont devenus impraticables, des montagnes s'écroulent, des refuges se fissurent.

Nous ne pouvons pas revenir en arrière ; nous morfondre ou nous culpabiliser ne sert à rien. Alors jeunes et moins jeunes, agissons pour nous, et les générations à venir.

Les hommes et les femmes ont toujours su faire preuve d'imagination devant les difficultés. Les exemples ne manquent pas en montagne. Aujourd'hui, nous avons à décupler ces efforts d'imagination pour construire la voie de demain, celle de notre futur en montagne.

Quel plaisir de vivre autrement la montagne : découvrons sa nature, les hommes qui y vivent, contemplons ses paysages, et prenons le temps de nous poser pour la voir, la toucher, l'écouter, la sentir, la goûter, sans oublier apprendre d'elle et de nous.

Les premiers passionnés de montagne vivaient en montagne. Puis est venu le temps de la consommation de la montagne en écho d'un mode de vie. Aujourd'hui, c'est vivre la montagne qu'il nous faut inventer.

Trouver ou retrouver le bonheur de vivre des instants privilégiés par une traversée au long court, s'émerveiller des « trouvailles » de la nature pour s'adapter aux conditions difficiles, ouvrir grand nos yeux et nos oreilles, lever la tête, sentir le paysage et non plus uniquement le traverser, ralentir.

Le changement climatique nous contraint. Nous pouvons en faire une opportunité pour vivre autrement notre rapport passionnel à la montagne. Sans affadissement ni frustration. Mais plus intensément. 

Pour aller plus loin - Liens utiles